Je n'ai jamais été fan de la télé et encore moins publivore, pourtant ces derniers temps, les publicités ont le don de m'énerver. C'est le cas de cette pub' en particulier.
Je n'ai absolument rien contre la marque Lacoste. J'en ai même vraiment rien à foutre seulement cette publicité me semble emblématique d'une pratique qui tend à se banaliser,qui m'agace au plus haut point et qu'on pourrait qualifier de " vague vintage".
Ici, la publicité utilise un classique Hip Hop de 1988, The Message de Grand Master Flash and The Furious Five. L'intro de cette chanson qui est un gimmick en soi rappelle presque inconsciement le mouvement Hip Hop même à ceux qui ne le connaissent pas. Pour le publicitaire, c'est forcément une bonne pioche.
L'objectif pour le groupe Lacoste est de rajeunir son image viellissante. Il faut faire comprendre que Lacoste n'est pas uniquement une marque que l'on voit dans les través de Roland Garos et portée par Henri Leconte. Il faut faire "décontracté " soit une autre manière de dire jeune. Toutefois, il ne faut pas perdre la "pureté" Lacoste, c'est à dire la notion de prestige. Souvenez vous de la mode du survet' Lacoste qu'arborait fièrement toute personne un peu "fresh" dans le quartier à l'époque. Un véritable cauchemar en terme d'image pour une marque comme Lacoste.
Non ici, le but est clairement de toucher le jeune bobo qui comprend par l'héritage culturel cher à Bourdieu, toute la symbolique de la marque. Raison pour laquelle, on part du polo pour en arriver au parfum. La marque a une histoire et elle entend bien le faire savoir.
Le raisonnement peut paraître étriqué et réducteur mais là encore je m'en fous un peu car là n'est pas mon propos finalement. [1]
Je ne découvre pas le marketing aujourd'hui et sais pertinemment que la valeur ajoutée d'un produit se joue sur les services annexes comme le marketing. De plus avec ma maigre expérience, je ne suis pas en position de contester la pertinance de tel ou tel positionnement. Non, ce qui m'emmerde c'est la musique choisie. " The Message".
Cette musique est un classique, un vrai. Elle marque un tournant significatif de l'histoire du Hip Hop car pour la première fois, celui-ci va faire une incursion dans le domaine social. Lui qui se veut une musique dans l'esprit " Peace, Unity and Havin' fun " va tourner le dos à cette image juvénile pour s'occuper un peu de ce qui se passe dans la rue. Et à l'époque, la crise frappant durement les quartiers noirs des Etats-Unis, les paroles font sensations.
Broken glass everywhere
People pissing on the stairs, you know they just don?t care
I can't take the smell, I can't take the noise no more
Got no money to move out, I guess I got no choice
Rats in the front room, roaches in the back
Junkie's in the alley with a baseball bat
I tried to get away, but I couldn't get far
'Cause a man with a tow-truck repossessed my car
Alors comment cette chanson si représentative peut attérir en fond sonore d'une telle publicité ? Comment une oeuvre décrivant la souffrance de toute une communauté peut-elle être reliée à un parfum aussi bon soit-il?
Grand Master Flash n'étant pas mort, il a forcement du avoir son mot à dire et valider le processus. A moins que le label/major est décidé seul de cette manoeuvre. N'étant pas dans le secret des dieux, je ne peux pas répondre mais ce procédé me répugne. Parce qu'il méprise le "message" que véhicule cette chanson et que l'on est ici dans la culture de l'approximation et de la récupération. Approximation parce que l'on ne se soucie que de la musique sans tenir compte des paroles ( tragiquement absente) et que le spectateur s'identifie facilement, presque docilement sans chercher à comprendre. La musique sonne "moderne", Flash étant un des premier à s'interesser à l'électro dans ces compositions. Il n'en faut pas plus pour que le spectateur accroche.
D'ailleurs, cette technique a déja fait ces preuves avec d'autres marques qui ont désormais décidé de capitaliser dessus. Je pense bien sur à Evian et Citroen qui dans deux genres différents tentent de vampiriser l'image d'un genre ou d'un artiste. C'est encore plus flagrant avec la pub Citroen ci dessous.
Sans être un grand spécialiste de Lennon, je ne suis pas certain que celui-ci goute à la manip' commerciale. De tout temps, les artistes ont du faire face à ces tentatives de récupération commercial et politique. On peut citer Jim Morrison qui refusa de voir une de ces compositions dans une publicité au risque de créer des tensions au sein des Doors.
Plus proche de nous,on peut également citer Daniel Balavoine et ces rapports plutôt conflictuels avec François Mitterand accusé de vouloir récupérer l'icone de la jeunesse qu'était alors Balavoine.[2]
Pratique toujours en cours puisqu'il y a peu, c'est Yann Barthès et le petit journal qui prennaient Martine Aubry en flgrant délit de récupération du Hip Hop français.
En lieu et place de cette tentative un peu niaise de faire "jeune", j'aurai aimé que Martine Aubry nous explique quelle place elle compte donner à la culture dans le projet socialiste. Reviendra t-elle par exemple sur la loi Hadopi si elle accède au pouvoir ?
Bref ,tout ceci montre malheuresement que le Hip Hop, cette culture que j'aime par dessus tout n'a absolument plus rien à voir avec une contre-culture. Soutenir le contraire aujourd'hui est ridicule. On a beau le savoir et être pret à l'accepter," quand on voit ce qu'on voit et qu'on entend ce qu'on entend " et ben parfois ça fait un peu mal...
Zayyad
[1] La synchro est un vrai métier et pour avoir une idée de l'envers du décor,cet article est vraiment très intéressant. Et contredit certaines théories échafaudées à la va-vite plus haut.
[2] C'est suite à ce débat que Balavoine a "gagné" le statut de défenseur de la jeunesse et c'est probablement au cours de ce même débat que Mitterand a du décider de "récupérer" le chanteur.
mardi 17 mai 2011
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